Le champ des possibles : portée par des acteurs impeccables et un sens artistique évident, l’horreur folk et psychédélique de Ben Wheatley fascine et intrigue toujours.
Sorti en 2013 au Royaume-Uni, A Field In England ne cesse depuis de diviser les avis : qu’on l’adore ou qu’on le déteste, une chose semble sûre, il ne laisse personne indifférent. Intégralement réalisé en noir et blanc, le film se déroule durant la Guerre civile anglaise, dans la campagne jouxtant le Pays de Galles. Ayant fui une escarmouche, un groupe disparate de déserteurs tombe dans les griffes malfaisantes d’un puissant alchimiste. Champignons hallucinogènes et chasse au trésor marquent le début de leurs ennuis…
Au casting, un ensemble d’acteurs tous excellents, Michael Smiley (Black Mirror, Deux sœurs pour un roi) et Reece Shearsmith (Inside No.9, Coup de Théâtre) se démarquant particulièrement. Smiley est diaboliquement intimidant, et son impitoyable O’Neil n’est pas sans rappeler l’autorité glaçante de Vincent Price dans Le Grand Inquisiteur, jusque dans la silhouette. Toujours habile à nous mener du rire à la terreur en un éclair, Shearsmith incarne pour sa part Whitehead, image en négatif d’O’Neil. Au premier abord faible et timoré, il se révèle plus complexe qu’il n’y paraît.
Loin du chaos de la bataille, dans l’espace à la fois ouvert et clos d’un champ, l’horreur naît aussi bien des forces (sur)naturelles qui habitent le lieu que des protagonistes eux-mêmes. Face à O’Neil et à son serviteur Cutler – lequel joue fièrement de son pistolet comme symbole de son autorité et de sa virilité – les trois autres échouent initialement à s’allier et ne comprennent la force de leur amitié que dans la douleur physique et la mort. O’Neil et Whitehead forment quant à eux une union réticente, leur rapport de force constituant la puissance motrice du film. La scène dans laquelle Whitehead pousse des hurlements à glacer le sang, avant de tituber le visage hanté et grimaçant d’extase sur un titre cosmique de Blanck Mass, est un des moments les plus effrayants et marquants qu’il soit permis de voir (et d’entendre) au cinéma.
Exception faite d’une longue séquence stroboscopique éprouvante pour les yeux, A Field In England est un sans-faute, totalement captivant et visuellement superbe. Le travail sur le son est remarquable, la musique envoûtante. La campagne anglaise, microcosme magique qui confine l’action et piège les protagonistes du début à la fin, devient un personnage à part entière. Le noir et blanc s’avère un choix aussi bien esthétique que judicieux : il sied au contexte historique tout en sublimant la cinématographie à la fois éthérée, bucolique et menaçante de Laurie Rose (fidèle directeur photo de Ben Wheatley). Le scénario d’Amy Jump est riche d’un langage tantôt évocateur par sa couleur archaïque, tantôt étonnamment moderne par son humour et son réalisme. A Field In England semble simultanément ancré dans un moment crucial et tumultueux de l’histoire anglaise, et étranger aux lois conventionnelles et linéaires de la physique et du temps.
Les événements extraordinaires du film et sa scène finale mystérieuse laissent en partie le spectateur forger sa propre interprétation, le réalisateur lui-même s’étant gardé de prononcer un jugement définitif. Dans cette œuvre singulière mêlant violence et occultisme, campagne anglaise et trips psychédéliques, l’horreur et la mort côtoient l’humour et la poésie. A Field In England hante comme un songe troublant, à mi-chemin entre rêve et cauchemar.
Noémie Leroy