The Substance

CRITIQUE// « The substance », un film de Coralie Fargeat

S’il en était encore besoin, le film de Coralie Fargeat – un délire gore aussi écœurant que captivant – réveille les consciences. Il interroge la recherche frénétique de la perfection et ses effets dramatiques, les diktats du showbiz sur le corps de la femme et son obsolescence programmée ou encore, inévitablement, la domination masculine.

L’atout majeur du film est sans conteste la prestation époustouflante et courageuse de Demi Moore dans le rôle d’Elisabeth. Présentatrice vieillissante d’une émission de fitness télévisée, cette dernière est mise à la retraite sans ménagement par son producteur Harvey (Dennis Quaid, jubilatoire dans l’outrance d’un requin avide de chair fraîche), dont le prénom n’est sans doute pas anodin. A ses tourments intérieurs, sa détestation d’elle-même et sa soif d’attention, s’ajoute la quête de la jeunesse éternelle et d’un corps idéal. Elizabeth accepte ainsi de tester un mystérieux procédé médical qui lui promet de changer sa vie. En s’injectant un produit inconnu (« the substance »), elle accouche d’une nouvelle version d’elle-même. Plus jeune, plus sexy. Quasi parfaite. Quelque part entre Dorian Gray et Frankenstein, l’héroïne signe un contrat faustien aux conditions drastiques, dont on pressent les conséquences sanglantes.

Jouant sur les ruptures, les contrastes et les mises en relief par une ingénieuse alternance de mouvements de caméra, de plans saccadés ou fixes et sur des sons éminemment suggestifs (bruits de succion et de mastication peu ragoûtants), la mise en scène est une autre carte maîtresse du film. L’image est composée, léchée. Représentation d’une Amérique idéale (comme dans le monde flashy de Barbie), les couleurs criardes et sans nuances s’opposent à la blancheur immaculée de la salle de bains, lieu de l’expérimentation « médicale », ou à la décoration de l’appartement, d’un gris uniforme et froid (allégorie, semble-t-il, du marasme psychologique d’Elisabeth).

Au fil du récit cependant, le flot des séquences sensuelles exhibant Sue (la version jeune d’Elisabeth) en Lolita sexuelle dans son show d’aérobic prend une allure de clip vidéo et tout cela finirait sans doute par lasser si l’irréparable ne venait à se produire. Le conflit larvé entre deux femmes qui n’en sont qu’une devient guerre ouverte, dans une surenchère de rage, de sang et d’horreur. Jusqu’au final qui, s’il n’était pas pris au second degré, friserait le ridicule avec son déluge d’hémoglobine inondant le grand divertissement de fin d’année et submergeant décors et spectateurs.

Le message du film est clair : être jeune est la règle, vieillir est une punition et entraîne le bannissement. Coralie Fargeat livre un regard sans concession sur un univers factice et sans pitié, un monstre qui réclame son lot de féminité, de jeunesse et de perfection physique au nom de la gloire et du succès.

Fable moralisatrice, œuvre outrancière et trash, réflexion sur la dualité de l’être, caricature cynique et caustique, le film est tout cela à la fois. Il est toutefois regrettable que la complaisance dans l’horrifique et l’escalade dans le gore finissent par prendre le pas et affadissent le propos féministe de son auteur. The Substance n’en demeure pas moins un film à l’esthétique choc, version moderne de Dorian Gray façon Alien et charge saignante contre la dictature de l’apparence hollywoodienne.

Maryse Decool