CRITIQUE// « De bouche à oreille : naissance et propagation des rumeurs », un livre de François Ploux



Dans la lignée d’Alain Corbin, François Ploux étudie la rumeur au XIXème siècle en l’élevant au statut d’objet historique. Voilà un choix attrayant autant que délicat : quoi de plus volatile, en effet, que le bruit qui se répand, la parole qui se déforme en se propageant ?

François Ploux a divisé son ouvrage en  deux parties. La première s’intéresse au phénomène que constitue à proprement parler la rumeur, de la naissance à la propagation. La seconde se concentre sur le cas particulier du bonapartisme et tente de démontrer que la rumeur a pleinement contribué à son enracinement dans les classes populaires. Envisageant son rapport complémentaire au manque de renseignements, François Ploux propose une analyse de la rumeur en tant qu’interprétation collective rassurante face à une carence en information inquiétante.

A l’appui de son travail, l’auteur multiplie les témoignages et les déclarations relatifs à des événements traumatisants : impôts, conflits armés, assassinats, maladies, incendies ou encore paniques bovines sont autant de thèmes que François Ploux aborde avec une minutie et un approfondissement remarquables. De toute évidence, De bouche à oreille… est marqué par un souci constant d’exhaustivité, accumulant et développant une multitude d’anecdotes : ces fréquents exposés et comptes-rendus ont l’indéniable mérite de parvenir à mettre le lecteur sur la voie d’un véritable problème historique, celui de la rumeur comme réaction politico-sociale.

Malgré la somme écrasante des bruits rapportés, l’ouvrage réussit parfois à amuser le lecteur, tant l’exagération de faits par les rumeurs peut devenir grotesque : tantôt le choléra est pris pour un empoisonnement comploté par des monarchistes pour liquider des opposants, tantôt les notables et les clercs sont accusés de meurtres et de magie noire lors d’incendies… L’ambition de François Ploux peut, cependant, l’amener à perdre le lecteur dans le développement à n’en plus finir d’anecdotes qui ralentissent considérablement la démonstration. Ce déficit de synthèse est d’autant plus répréhensible que la difficulté à s’emparer d’une homogénéité des rumeurs donne lieu, dans certains sous-chapitres, à une infinie série d’anecdotes dont il est finalement impossible de tirer des lois générales.

Il faut pourtant reconnaître à François Ploux sa capacité à prendre du recul vis-à-vis d’un élément aussi instable que la rumeur afin d’analyser sa valeur socio-politique, son rôle de politisation et de soulèvement des masses au-delà de son caractère fantaisiste.  De bouche à oreille… n’est donc pas seulement extrêmement bien documenté : c’est aussi un ouvrage original qui porte une réflexion d’une qualité évidente.

T.L.


François Ploux, De bouche à oreille : naissance et propagation des rumeurs dans la France du XIXème siècle Aubier, 2003