CRITIQUE// En finir avec Eddy Bellegueule, d’Edouard Louis

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Est-ce le livre de l’année ou faut-il parler de best-seller ? En finir avec Eddy Bellegueule, c’est en tout cas le livre dont tout le monde parle. Il caracole en tête des ventes – juste après la très populaire Katherine Pancol – et a fait les beaux débats d’émissions littéraires aussi prestigieuses que La grande librairie sur France 5 ou Le masque et la plume sur France Inter.

C’est le premier roman d’un jeune écrivain de 21 ans, Edouard Louis, élève de l’ENS. Si l’écriture est simple et sans afféterie, la lecture n’en est pour autant pas si facile, tant la violence, omniprésente, laisse parfois au bord de la nausée. L’auteur fait le récit de son enfance, du temps où il était encore Eddy Bellegueule, ce jeune garçon dont les manières efféminées sèment le trouble dans un village de Picardie où les mœurs ne semblent pas avoir évolué depuis 60 ans. Son manque d’intérêt pour les choses « viriles », le football par exemple, et son goût pour le théâtre font de lui le traitre désigné et le laissent en butte à toutes les maltraitances : verbales et morales par sa famille et physiques par les élèves dont certains deviennent ses bourreaux. Sans conteste, le récit est à charge, sorte d’exutoire permettant à l’auteur de s’affranchir d’un tel passé. Même si on ne saurait lui reprocher cette démarche libératoire, on a quand même bien du mal à se persuader que cette micro-société-là, rongée par la pauvreté, l’alcoolisme, la misère intellectuelle, le manque d’hygiène, le racisme et la vulgarité est bien des années 2000 et ne relève pas d’un roman de Zola. Comme dans cet épisode où sa mère lui raconte en riant comment elle a perdu, dans les toilettes,  l’enfant qu’elle portait : « …j’ai entendu le bruit, le plouf. Quand j’ai regardé, j’ai vu le gosse, alors je ne savais plus quoi faire, j’ai eu peur et, comme une conne, j’ai tiré la chasse d’eau…le gosse, il voulait pas partir donc j’ai pris la brosse à chiottes pour le faire dégager… ». Que la réalité soit telle ou vue à travers le prisme de l’affect et des émotions de l’auteur importe peu finalement : cela amène surtout le lecteur à prendre conscience du pouvoir de la société sur l’individu, du poids que fait peser sur lui sa naissance et de la difficulté à s’en sortir. Car, avant tout, c’est la question de l’homosexualité qui sous-tend cet ouvrage, avec ses corollaires : recherche identitaire, discrimination, homophobie, des thèmes qui, malgré les récentes avancées légales, demeurent encore bien d’actualité.

Bien que de temps à autre quelque expression subtile affleure (le si joliment formulé « l’odeur du cri de mon père » qui s’impose à l’enfant après les ébats de ses parents), En finir avec Eddy Bellegueule souffre d’un certain manque d’émotion et d’un style plutôt froid et détaché. C’est néanmoins un beau roman, un livre nécessaire.

Maryse Decool