CRITIQUE// Millet, le peintre au sabots, exposé à Lille

A l’occasion de la rétrospective que lui consacre le Palais des Beaux-Arts de Lille, retour sur Jean-François Millet, un artiste dont l’œuvre sensible et foisonnante reste insuffisamment mise en lumière.

Si l’on devait établir le top dix des peintures les plus détournées, L’angélus de Jean-François Millet (1814 – 1875) se placerait en bonne position derrière La Joconde et La Laitière. Boîtes à biscuits, mugs, sets de table, posters, cette toile emblématique figure partout à travers le monde – parfois pour le meilleur, souvent pour le pire. C’est pourtant rendre un hommage trop faible à son auteur que de le réduire à cette seule toile. Adulé aux Etats Unis (où se trouve d’ailleurs la majeure partie de son œuvre) comme au Japon, il est hélas méconnu chez nous ! Dessinateur, pastelliste accompli et peintre magnifique, Jean-François Millet a consacré son œuvre à traduire la réalité quotidienne de la vie paysanne. Il n’en demeure pas moins inclassable : réaliste, biblique, intimiste, les adjectifs sont nombreux mais traduisent davantage des fragments que la richesse et la variété de son travail.

Fondateur de l’école de Barbizon où il s’installe en 1849, Millet a inspiré des artistes tels que Hopper, Gauguin et même Dali. «Pour moi ce n’est pas Manet, c’est Millet le peintre essentiellement moderne qui a ouvert des horizons à bien d’autres», écrit Van Gogh à son frère, ce même Van Gogh qui copiera La sieste, Le semeur ou encore La méridienne. Pêle-mêle, il faut absolument revoir Les dénicheurs de nids – une de ses dernières toiles achevée un an avant sa mort qui, plus que d’autres, préfigure l’impressionnisme – ou encore Les meules, La grande bergère, La becquée, Le vanneur. Témoin sensible de la vie rurale, Millet nous propose une promenade toute en émotions, de découvertes en découvertes dans cet univers où le réalisme se conjugue avec la finesse, la maturité avec la diversité. Une beauté profonde qui, parfois, laisse sans voix. Romantique plus que concret, Millet révélait lui-même au détour d’une confidence : « Au risque de passer pour encore plus socialiste, (…) c’est le côté humain, franchement humain qui me touche le plus en art. »

Accessible jusqu’en janvier 2018, l’exposition lilloise permet de prendre toute la mesure de l’artiste, un peintre dont le nom est certainement plus connu que l’œuvre. De manière judicieuse, elle éclaire aussi son influence dans l’art américain au XXème siècle – peintres (E. Hopper, W. Morris Hunt), photographes (D. Lange, A. Rothstein, W. Evans…), cinéastes (J. Ford, T. Malik,…), écrivains et poètes. Comme chacun de ces artistes, force est de reconnaître en Jean-François Millet à la fois un maître et une source d’inspiration profonde.

Régis Loretti


Rétrospective Jean-François Millet au Palais des Beaux-Arts de Lille, jusqu’au 22 janvier 2018.