CRITIQUE// « Merci patron ! », un film de François Ruffin

Bouleversant, réjouissant, émouvant, désopilant, voilà un film qui devrait être déclaré d’utilité publique. Et si vous ne deviez en voir qu’un seul cette saison, courez-y car il vous donnera envie de vous révolter, de chanter et d’applaudir debout.

Réalisé par François Ruffin (rédacteur en chef de la revue Faki), ce documentaire en forme de réquisitoire n’a pas eu toute la critique cinématographique qu’il mérite. Pour autant, son succès public dans les salles est le témoin d’une vraie colère qui trouve là le moyen de s’extérioriser avant d’étouffer pour de bon les petits, les grugés, les précarisés de la vie ; il fait aussi office de piqûre de rappel pour nous tous, spectateurs, que cette belle leçon d’humanité, de compassion et de rouerie laisse émerveillés. L’histoire, c’est celle d’une famille du Pas-de-Calais, les Klur, tombée dans la précarité. Comme des centaines d’employés, les Klur ont été licenciés de la fabrique Kenzo que Bernard Arnault, propriétaire du groupe de luxe LVMH, a décidé de délocaliser en Pologne où « la main d’oeuvre est abordable ». C’est pour eux que François Ruffin va imaginer et lancer un plan de sauvetage malin, manipulateur en diable, dont il nous fait suivre les péripéties avec les moyens du bord : un caméraman, une preneuse de son et des caméras cachées.

Faut-il classer François Ruffin parmi les agitateurs ? Sans doute, mais pas au sens habituel du terme. Merci patron ! n’est pas un film engagé, dépressif et culpabilisant. Ici, pas de rentre dedans mais de l’ironie et de la légèreté, pas de pathos mais de la bienveillance matoise et de l’émotion (quand les Klur déclarent qu’avec 400€ par mois, il y a des moments sans rien « pour vivre et manger, alors on mange pas »). Du suspens aussi, des rebondissements qui fichent la trouille, de l’angoisse (le piège va t-il fonctionner?). C’est la lutte sans états d’âme superflus mais à grand renfort de chantage, de mauvaise foi et d’arnaque des petits travailleurs laissés sur le carreau contre le patronat vorace et cynique.

On rêve beaucoup, on rit énormément, on se prend d’affection pour ces gens simples au cœur plus grand que leur maison mais surtout on n’oublie pas que c’est bien la misère humaine qui alimente ce stratagème. Ce petit film est peut-être sans prétention mais il a la puissance d’un grand. Mieux, il est salutaire. Puisse-t-il bénéficier encore longtemps, à défaut de vraie promo, de l’effet « bouche à oreille » qui remplit les salles.

Maryse Decool