CRITIQUE// « La danse du diable » au Théâtre Sorano

Un gamin de soixante-cinq ans se souvient de sa jeunesse d’avant, d’avant que sa mère soit morte. Tout commence et finit… pour recommencer, continuer avec elle, avec et sans elle, sa mère, figure tutélaire fantasticomique, dans la nuit et la neige. Au Sorano.

A travers cette pièce, née d’une improvisation, créée pour la première fois il y a plus de trente ans – au printemps 1981 – Caubère en hiver revient, n’en finit pas de revenir au monde, de s’inventer. Seul et pas seul. L’artiste se montre, à nu, sur un fil, égal à lui-même, unique, multiple, dans un spectacle marathon de près de quatre heures mené sur un rythme endiablé, à effacer les distances, à jouer sans temps mort le rôle, tous les rôles de sa vie. C’est lui, c’est bien lui et c’est sa mère, ainsi qu’une cohorte d’autres petits ou grands personnages d’hier, d’avant-hier, qui l’ont nourri, qu’il fait revivre toujours plus fort et vrai, toujours en mouvement, par mots et par voix, par corps. Rejoignant Artaud qui définissait l’acteur comme un « athlète affectif ». On n’oubliera jamais sa performance, la prouesse par exemple du vieux Caubère à réunir et incarner dans sa chambre d’adolescent les fantômes Charles de Gaulle, Johnny, Mauriac, Sartre… et sa sœur Isabelle. Troublant parce que juste, sincère mélange des temps, des genres : l’Histoire et l’intime, le réel et le théâtre – les « loges » sont dans un coin de la scène – le trivial et la poésie… sa vie avec la nôtre. Car si c’est lui, si c’est bien lui, c’est aussi nous qui nous sentons exister pleinement, nos yeux grand ouverts, nos éclats de rires tout du long, nos larmes les cinq dernières minutes. Nos applaudissements debout qui ne veulent pas finir.

Nicolas Pechmezac