CRITIQUE// « Les Chutes », un livre de Joyce Carol Oates

Les chutes de Joyce Carol Oates
Traduction Claude Seban
Editions Philippe Rey

Les chutes du Niagara sont le décor de ce roman, peut-être l’un des plus aboutis de Joyce Carol Oates. Elles y sont envisagées comme une puissance maléfique récurrente, un abîme qui attire et mène à la mort, mort choisie, délivrance, suicide. Omniprésente aussi, l’idée de la malédiction : ainsi un drame vécu par une personne se répercuterait-il sur chacun des membres de sa famille, faisant peser sur eux l’épouvantable poids d’un secret de famille.

L’histoire s’étend sur trois décennies de la vie d’Ariah qui, après le suicide de son jeune époux dans les chutes, n’a de cesse de parcourir les lieux du drame, où elle finit par devenir « La veuve blanche ». C’est cependant là que sa vie va prendre un autre tournant,  par sa rencontre incongrue avec Dirk Burnaby, un brillant et séduisant avocat. Ariah change de milieu, change de vie, s’épanouit à mesure que s’agrandit la famille. En apparence. Car en elle subsiste cette femme farouche, nerveuse, émotive jusqu’à la névrose, angoissée, persuadée d’être maudite. Et le tragique enchainement des événements qui font un jour basculer son univers lui donne raison.

Une fois de plus, l’auteur dresse un portrait sans concession, d’une Amérique dont elle dépeint les travers : puritanisme (voire rigorisme) du milieu presbytérien, corruption des édiles et de la police, domination de l’argent roi, le tout sans dramatisation superflue, sans surenchère dans le pathétique. Elle n’hésite pas non plus à décrire la réalité la plus crue (surtout replacée dans le contexte de l’époque évoquée, de 1950 à 1978) avec cette liberté d’écriture et cette franchise de ton que l’on trouvait déjà dans Blonde.

Jusqu’à la fin, très belle, Joyce Carol Oates emporte le lecteur dans son univers romanesque planté dans une Amérique vertueusement hypocrite, au sein duquel les non-dits cimentent les relations entre les personnages, aussi toxiques que le poison des usines de Niagara Falls.

Maryse Decool